La théologie médiévale distinguait en morale quatre
significations symboliques de la nudité : nuditas naturalis,
l’état naturel de l’homme, qui engage à l’humilité ; nuditas
temporalis, le manque de biens terrestres, qui peut être volontaire (comme
chez les Apôtres ou les moines), ou provoqué par la pauvreté ; nuditas
virtualis, symbole d’innocence (de préférence une innocence acquise au
moyen de la confession) ; et nuditas criminalis, signe de
débauche, de vanité, d’absence de toutes les vertus.
« Nuditas naturalis » figure en des scènes de la
Genèse, en des Jugements derniers, en des représentations d’âmes quittant leurs
corps et de sauvages (outre, bien sûr, les scènes de martyre et les
illustrations scientifiques).
La nuditas naturalis est présente dans
le Jeu d’Adam et dans les écrits de l’abbesse Hrotsvita. La
nudité d’Adam et Eve doit évidemment être considérée comme un état positif
puisqu’elle concerne les premiers humains encore libres du péché originel.
C’est sans doute pourquoi le texte insiste sur la magnificence du costume qui
symbolise cette nudité, en contraste fort avec celui que les personnages
revêtent ensuite. Figura qui parle pour Dieu, insiste sur
cette déchéance :
Les corps se montrent mal à l’aise dans le monde terrestre
où Adam et Eve se voient désormais confinés. Le contraste est d’autant plus
saisissant quand l’ange apparaît alors sur scène :
Intérim veniet angelus albis indutus, ferens radientem
gladium in manu, quem statuet Figura ad portam paradisi.
Pendant ce temps, un ange viendra vêtu de blanc, portant
une épée brillante à la main, qu'il dressera en figure à la porte du paradis.
Dans les textes de Hrotsvita au contraire, la palme du
martyre revient aux jeunes filles sacrifiées et blessées dans leur corps :
Ideo rogamus solui retinacula animarum, quo extinctis
corporibus tecum plaudant in aethere nostri spiritus. Melius est ut corpus
quibuscumque iniuriis maculentur, quam anima idolis polluantur.
C'est pourquoi nous ne demandons qu'aux réseaux d'âmes,
afin que nos esprits puissent applaudir avec vous dans l'éther avec leurs corps
éteints. Il vaut mieux que le corps soit souillé par toutes sortes d'injures,
plutôt que l'âme soit souillée par des idoles.
Dans ce cas, le corps est d’emblée présenté comme négatif,
opposé à une âme (spiritus ou anima) positive. On
comprend dès lors combien il doit demeurer caché par des vêtements que même le
feu ne parvient pas à effacer : la nudité ne serait qu’une représentation
extrême du corps vicié, une nuditas criminalis selon les
termes d’Erwin Panofsky.
En fait, ce type de nudité n’est jamais mentionné dans les
textes, même pour des personnages négatifs : leurs propos ou leurs gestes
suffisent aux yeux des spectateurs. De même, la nuditas
temporalis reste a priori négative dans les drames
liturgiques mais elle ne se manifeste jamais par une dénudation (fût-elle
métaphorique) du corps.
Ne reste donc que la nuditas virtualis,
« symbole d’innocence », précisément celle que le personnage du
Christ incarne dans les textes, d’où leur insistance sur les pieds nus du
personnage : d’après la théologie chrétienne, c’est effectivement par le
Christ que l’humanité retrouve sa pureté originelle, par lui le corps est
réhabilité. C’est précisément ce qu’annoncent les prophètes du Jeu
d’Adam, comme ici Jérémie :
Avec la réhabilitation du corps par le Christ même, qui en
fait un instrument du salut pour l’humanité, la question du vêtement ne se pose
plus dans les mêmes termes. Après la Résurrection, l’innocence retrouvée permet
les représentations du Christ en partie dénudé et, bien que cette pureté
retrouvée reste très dépendante du phénomène de « refoulement » dont
Leo Steinberg a parlé, l’absence (très partielle) de vêtement désigne un
principe supérieur.
Le théâtre naissant met en place une série de conventions
dramatiques, en particulier celles qui concernent la mise en scène du corps,
les acteurs et leur costume. Ce premier théâtre, issu de l’Eglise et souvent
d’abord en latin, rend compte de la complexité du message chrétien. La vision
de la nudité y est moralement condamnable bien que l’Incarnation du Christ et
la promesse de la résurrection des corps lui redonnent parfois son innocence
première, mais dans tous les cas, elle n’apparaît que discrètement, souvent
voilée par des vêtements qui la signifient.
Hrotsvita
de Gandersheim
Religieuse de Saxe, Hrotsvita de Gandersheim (entre 930
et 935 – après 973) écrit en latin des œuvres spirituelles ou historiques, et
six des rares pièces de théâtres composées au Moyen Âge. Elle est considérée
comme la première autrice germanique.
La vie de Hrotsvita de Gandersheim est mal connue, les
principales sources en étant ses propres écrits. Concernant sa date de
naissance, elle indique ainsi dans son poème historique « Carmen
de Primordiis Coenobii Gandersheimensis » qu’elle vient au monde
longtemps après le décès du duc de Saxe Otton Ier de Saxe, mort
en 912. Sa naissance est estimée entre 930 et 935, au sein d’une famille de la
noblesse saxonne. Elle naît dans le duché de Saxe, au sein du royaume de
Germanie.
Instruite et cultivée, Hrotsvita est peut-être formée aux
côtés de Brunon, petit frère du roi de Germanie Otton, qui deviendra le
premier empereur du Saint-Empire romain germanique. Elle est l’élève de
Gerberge, fille du duc Henri de Bavière, qui devient abbesse de l’abbaye de
Gandersheim en 949, aujourd’hui en Basse-Saxe en Allemagne. À l’époque,
l’abbaye, comprenant un lieu d’accueil des voyageurs, un hôpital, une
bibliothèque et une école, est un véritable lieu de savoir et de diffusion de
la culture ; de nombreuses familles nobles y envoient leurs enfants afin qu’ils
y soient éduqués.
Ses écrits laissent supposer qu’elle ne prend pas le voile
immédiatement, mais qu’elle possède une certaine expérience de la vie laïque.
Quoiqu’il en soit, Hrotsvita commence ses premières œuvres littéraires dans les
années 950 – 960. À la demande d’abbesse Gerberge, elle rédige la Gesta
Oddonis, une source très importante sur le règne des rois germaniques
Ottoniens depuis 919.
Hrotsvita de Gandersheim travaille également à retracer
l’histoire de l’abbaye, fondée en 852 par le comte de Saxe Liudolf et sa femme
Oda après un pèlerinage à Rome. En plus de six cents vers, les Primordia
coenobii Gandeshemensis s’attachent à valoriser l’abbaye, face à la
montée de sa rivale voisine de Quedlinbourg. La religieuse compose
également des vies de saints, tels que Agnès de Rome, Pélage de Cordoue ou
encore Denis de Paris. Divisant son œuvre en trois livres, Hrotsvita compile
ses hagiographies dans son Livre des légendes, intégré à son Liber
Primus (Livre Premier).
Au sein de l’œuvre de Hrotsvita de Gandersheim, la plus
grande originalité réside dans ses pièces de théâtre, Gallicanus, Dulcitius, Callimachus, Abraham, Paphnutius et Sapientia.
Inspirée par le poète antique Térence, qu’elle a lu pendant ses études à
l’abbaye, Hrotsvita s’approprie un genre presque oublié depuis l’Antiquité.
Mettant en scène des héroïnes plutôt attachantes, elle parle d’amour et de
chasteté, de miracles et d’interventions divines, avec un ton parfois
humoristique et étonnamment moderne.
Hrotsvitha sait que, en tant que femme, son œuvre sera moins
prise au sérieux que si elle émanait d’un homme. Elle-même ne semble pas
remettre en question l’opinion de son temps, voulant que les femmes soient
moins aptes à l’écriture que les hommes. Pour appuyer sa légitimité d’autrice,
elle fait valoir qu’elle est une exception, inspirée par Dieu. Elle indique
qu’elle « met de côté la faiblesse féminine et invoque dans son
cœur prudent une force virile ».
On ne connait pas plus les circonstances ou la date de la
mort de Hrotsvita de Gandersheim que celle de sa naissance ; elle meurt en tous
cas après 973. Ses œuvres sont oubliées au Moyen Âge, puis redécouvertes
et rééditées vers 1494. Considérée comme la première écrivaine germanique,
elle fait partie des rares autrices du Moyen Âge.
"Une prière fervente
est plus efficace que toute la présomption humaine."
Hrotsvita de
Gandersheim - Gallicanus (Xe s. ap. J.-C.)
Sources ; https://histoireparlesfemmes.com/